Emmett n'avait pas encore joué devant ce petit public improvisé. Il n'avait d'ailleurs même pas pris la peine de répondre à son frère mais ce dernier en avait l'habitude. Emmett était un jeune homme qui ne parlait que très peu, voire pas du tout. Sa famille avait bien essayé de le sortir de son silence d'enfant borné mais en vain. Ils avaient tous dû faire avec. Il n'était pas muet, il n'aimait seulement pas parler.
S'il ne parlait pas, son esprit était vif pour deux. Chaque détail était analysé, enregistré, mémorisé. Rien ne lui échappait. Et surtout pas le talent des deux jeunes femmes qu'il veniat d'entendre. Son frère, il l'avait déjà entendu à plusieurs reprises, même s'il était assez rare qu'ils jouent ensemble. ils n'appartenaient pas au même monde musical. Ou plutôt, ils n'appartenaient plus au même monde musical.
La dernière compisition jouée avait lancé un froid venu tout droit de Sibérie sur la salle de musique. Chacun exprimait sa douleur, son chagrin au travers des notes et des accords. La musique était triste et avait refroidi la joie présente comme un souffle galcé que la Tristesse elle-même aurait soufflé. Mais Emmett ne dit pas un mot, ne montra aucune émotion. Pourtant, en son for intérieur, il était troublé lui aussi. Ou plutôt, ému. La musique était son oxygène et chaque note jouée le lui rappelait. Emmett transposait tout, absolument tout en notes et paroles. Et ce qu'il venait de voir lui donna une idée. L'inspiration venait de se manifester.
Après s'être assuré d'être seul dans la salle, il se dirigea vers le piano qu'il effleura du bout des doigts sur toute la longueur, un peu comme pour faire connaissance avec lui. Ce contact avec le bois laqué lui procura un frisson dans le bas du dos ce qui le fit sourire. Pas intérieurement cette fois, mais bien sourire. Son visage d'ordinaire figé et fixe se mua en un visage rayonnant et lumineux. Une chance qu'il était seul dans la salle de musique. Il tenidt l'oreille et ne put entendre aucun son des couloirs. ils étaient visiblement tous bien trop troublés pour revenir sur les lieux du "crime".
il prit place sur la banquette de pianiste et laissa une place à ses côtés, comme si quelqu'un allait l'occupper d'ici quelques secondes. D'un geste mécanique, il caressa le velours du siège d'un revers de la main, comme pour en enlever la poussière et resta un très court instant à contempler cet espace vide à côté de lui. Vide mais cependant occupé pour lui. Il prenait garde à ne pas prendre plus de place qu'il ne le fallait, un peu comme si quelqu'un se trouvait à ses côtés, réellement ! Pourtant, c'était bien du vide qui était là. Il eut un regard triste à cette place innoccupée et posa ses doigts sur le clavier.
* A ECOUTER EN MÊME TEMPS QUE VOUS LISEZ *
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https://www.youtube.com/watch?v=FAlohchaDKQ*
D'une main hésitante, il joua les premières notes. On les entendait à peine mais en tendant l'oreille on entendait. Les premières notes passées et un regard au vide, il joua avec plus de force. Les notes se suivaient les unes après les autres sans mal sortant de son esprit pour aller se poser directement sur le clavier. IL n'avait pas la moindre idée de ce qu'il jouait, il n'avait pas de partition pour lui dire de monter ou descendre mais il jouait. Ses sentiments se posaient si facilement sur l'instrument qu'il ne put réprimer un sourire en coin. L'émotion qu'il avait ressenti en écoutant les précédents morceaux, la douleur qu'il avait pu lire, le froid qui s'était emparé de la pièce ... Emmett transposait son expérience en notes. la fluidité avec laquelle il jouait était étonnante, surprenante et douce. Elle vous emportait avec elle dans un monde ailleurs, un monde qui n'existe que le temps d'une chanson, d'une mélodie, que le temps de la folie passagère d'un pianiste. Quelques fausses notes, quelques accords loupés, tous ces petis défauts l'amusaient. Mais ils le ramenaient aussi et surtout à la réalité. Puis, il sentit grandir un manque, une absence, une réalité dont il ne voulait pas.
Ce manque, cette absence se fit ressentir dans son jeu. il s'embrouilla, se perdit dans les graves un court instant avant de reprendre comme si de rien n'était. IL reprit la chanson comme au début en insistant chacune des notes comme s'il parlait à quelqu'un, comme s'il cherchait à se faire entendre. Il détacha ses doigts du piano et se leva doucement du siège. Il observa le clavier et le siège, attendit un court instant dans le silence le plus total et referma le couvercle. Il ne l'entendrait pas. Il sortir sans se retourner de la pièce et descendit à la cafétéria se chercher quelque chose à boire pour se remettre de ses émotions.